Comment endiguer les risques de la « grande démission » ?

Les confinements successifs semblent avoir servi de déclencheur. De nombreux salariés ont pris du recul sur leur travail. Aux États-Unis, le phénomène « Great Resignation » (grande démission) a été brutal. En France, où les emplois ont été protégés, il reste limité. En revanche, la démission qui ne dit pas son nom (le « quiet quitting ») fait un tabac sur les réseaux sociaux. Mais le travail n’a pas dit son dernier mot.

grande démission

« Maxime, devenu conseiller indépendant, après s’être vu refuser une rupture conventionnelle * ou encore « Kaelig Sadaune, l'un de ces nombreux Parisiens qui ont démissionné pour partir s'installer dans les Pyrénées-Atlantiques »*… Les médias ont multiplié les titres et les accroches sur la « grande démission » qui serait, selon eux, sur le point de submerger l’Europe après avoir secoué les États-Unis. Autre concept en vogue : le « quiet quitting », ou démission silencieuse qui consiste à quitter mentalement son travail tout en assurant le minimum. Assiste-t-on à de simples phénomènes de mode ou à de nouveaux symptômes d’une mutation plus ancienne et plus profonde ?

 

Un taux de démission normal pour une période de rattrapage économique

Côté chiffres, la Dares** (direction de la Recherche du ministère de l’Emploi) indique qu’il faut remonter à 2008 pour retrouver une vague de démissions aussi forte qu’en 2022 : « Le taux de démission atteint 2,7 % en France au 1er trimestre 2022. Il est au plus haut depuis la crise financière de 2008-2009, mais reste en deçà des niveaux qu’il avait atteints juste avant, début 2008 (2,9 %) ». Conclusion : le taux de démission est élevé, mais pas inédit ni alarmant. La Dares précise : « Dans le contexte actuel, la hausse du taux de démission apparaît donc comme normale, en lien avec la reprise suite à la crise du Covid-19. Elle n’est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail ».

En revanche, de nombreux indices montrent que notre rapport au travail évolue. Une enquête menée par l’IFOP, fin 2022, souligne même que « rarement le travail n’a été autant questionné qu’aujourd’hui ». Ainsi 45 % des Français admettent « faire juste ce qu’il faut au travail » et 58 % seraient « prêts à arrêter de travailler à revenu passif égal », en clair : à vivre de leurs rentes s’ils le pouvaient. Près de la moitié des personnes interrogées: « ne se rendent au travail que pour le salaire qu’elles en retirent ». Un chiffre en nette augmentation, puisqu’en 1993 ils n’étaient qu’un tiers à indiquer que l’argent était leur principale motivation.

 

Pour les Français, le travail reste important mais…

Mais la relation au travail des Français est plus complexe qu’il n’y paraît. Dans une autre enquête publiée en 2022 ****, l’IFOP met aussi en relief qu’un Français sur trois pense que le travail « est aussi important que la vie de famille, les amis et les loisirs » et 59 % des sondés affirment que « c’est important, mais moins que la vie de famille, les amis et les loisirs ». Ils sont ainsi 93% à penser que le travail, d’une façon ou d’une autre, est important, même s’il peut être relativisé.

Alors n’est-on pas en face d’une forme de dépit vis-à-vis d’un travail qui n’est pas à la hauteur plutôt qu’à un rejet fondamental ?

« Si vous n'avez rien à gagner en travaillant, vous n'avez pas grand-chose à perdre en ne fichant rien. » Qui a osé dire la chose aussi crument ? C’est Corinne Mayer, dès 2004, dans son livre « Bonjour paresse ou De l'art et de la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise », vendu à 250 000 exemplaires en France et autant à l’étranger. Ce best seller prouve que personne n’avait attendu le « quiet quitting » pour réévaluer la place de son travail quand celui-ci avait perdu tout sens.

 

Comment redonner du sens au travail ?

Dans leur dernier ouvrage « Redonner du sens au travail » (2022)*****, Thomas Coutrot et Coralie Perez démontrent, au travers de leurs enquêtes, que le sens du travail est articulé autour de trois grande dimensions : le sentiment d’utilité, la fierté du travail bien fait et le développement de ses capacités. On peut aussi ajouter que chacun souhaite aussi être reconnu à sa juste valeur.

Le sentiment d’utilité - Un travail utile, qu’est-ce que c’est ? On pense immédiatement à l’utilité sociale et humaine : sauver des vies comme le font les médecins ou les pompiers ; à l’utilité pratique : construire des logements, nettoyer la voie publique ou faire pousser du blé… Mais la notion d’utilité s’avère tellement vaste que l’on est conduit à se dire qu’un métier utile c’est un travail qui, par un moyen ou un autre, apporte de la valeur à la société, mais aussi qui apporte de la valeur à celui qui le pratique. C’est là qu’intervient le rôle du dirigeant inspirant : partager et faire comprendre la raison d’être de son entreprise et le pourquoi du travail demandé. Il lui revient ensuite de valoriser tous les collaborateurs qui contribuent à ce dessein. Si la mission de l’entreprise n’est pas bien clarifiée, c’est l’occasion d’élaborer un projet d’entreprise en impliquant les salariés.

La fierté du travail bien fait - La satisfaction d’avoir atteint un objectif, d’avoir fait du bel ouvrage sont de puissants moteurs de motivation. Là encore, c’est le rôle du dirigeant de définir ce qu’est le travail « bien fait », à travers des objectifs clairs et des normes suffisamment stables. À partir de là, il lui revient de gratifier les individus – mais plus encore les équipes – qui relèvent ces défis. Car la fierté sera d’autant plus stimulante qu’elle sera collective et partagée.

Le développement de ses capacités - Progresser, s’améliorer, renforcer ses compétences et son employabilité est essentiel pour donner un sens à sa trajectoire professionnelle. S’il veut retenir ses collaborateurs, le dirigeant doit leur permettre de grandir. L’entreprise est un univers dynamique dans lequel il est douloureux pour un individu d’avoir le sentiment de faire du sur-place. Parcours de formation continue, évolutions de carrière, mais aussi autonomie dans l’organisation de son propre travail (« job crafting », ou façonnage de son poste) sont autant de réponses possibles et complémentaires.

 

Récompenser les efforts pour fidéliser

Comment l’entreprise peut-elle signifier sa gratitude vis-à-vis de ses salariés ? Il y a d’abord les attitudes et les gestes simples d’attention et de remerciement au quotidien qui relèvent à la fois du bon sens et de l’intelligence émotionnelle. Il y a ensuite, toutes les réponses « événementielles » afin de signifier aux équipes qu’elles ont bien travaillé et pour resserrer les liens. Enfin, il y a l’argent qui reste le sujet majeur. Le salaire constitue le socle de la reconnaissance pécuniaire, mais il faut également investir dans les rémunérations complémentaires et les rémunérations différées : les dispositifs de participation, d’intéressement et plus largement d’épargne salariale constituent des outils efficaces pour récompenser les efforts et reconnaître la valeur ajoutée des collaborateurs et ainsi les fidéliser.

 

* France Info, 26/12/2022 10:38 et France info le 29/12/2022 07:11

** https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-france-vit-elle-une-grande-demission

*** https://lesmakers.fr/francais-travail-sondage-ifop/

**** https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/11/119438-Presentation-revu-Jerome-pour-publication-IFOP.pdf

***** https://www.seuil.com/ouvrage/redonner-du-sens-au-travail-thomas-coutrot/9782021503234